Producteurs locaux

Circuits courts : après l’engouement,
le retour aux vieilles habitudes ?

Du Jardin de Marthe à la ferme Andrès, des Jardins de la Montagne verte au réseau de Marmelade et à l’îlot de la Meinau, ils avaient tous été pris d’assaut pendant le confinement. Quelques semaines plus tard, que reste-t-il de l’engouement pour les circuits courts à Strasbourg ?

On se l’était tous dit pendant le confinement : « Plus jamais ça ! » Fini, les files d’attente du samedi aux caisses automatiques des supermarchés, les pommes bio du Chili, les poulets de batterie et les saumons d’élevage biberonnés aux granulés… Cette fois, promis, juré, craché : on allait révolutionner nos habitudes ! Consommer local et bio, faire des marchés de producteurs notre nouvel Eldorado, ne plus manger des tomates qu’au cœur de l’été, étudier les mille et une façons d’accommoder les truites du Heimbach et faire ses propres conserves de fruits (bio) fraîchement cueillis. On était au taquet, en mode « Désormais, la grande distribution tu honniras ; les circuits courts tu chériras !  »

Jean-Pierre Andres : « Il me reste peut-être 10 % des clients du confinement »

Oui, mais ça, c’était avant… Depuis, il y a eu le déconfinement, et tout est redevenu (presque) comme avant, le masque et le gel hydroalcoolique en plus. C’est du moins le sentiment, à Strasbourg, de certains maraîchers et acteurs du secteur. « On a servi de roue de secours quand les gens n’osaient plus aller dans les grandes surfaces. Là, ils étaient bien contents de nous trouver ! Mais dès que les supermarchés ont rouvert, plus rien ! C’est dur à vivre moralement », se désole Jean-Pierre Andrès, quatrième génération à exploiter les 3,5 hectares de terres familiales au bout de la rue de l’Afrique, à la Robertsau.

Pendant le confinement, son coquet magasin de vente directe, avec son coin épicerie fine bien garni, ne désemplissait pas. « Avec ma femme Isabelle, on bossait 14 à 15 h par jour ! Certains m’attendaient devant la porte le matin en espérant que je leur réserverais mon stock d’œufs ! Ils ont disparu du jour au lendemain. Pfuittt ! Il me reste peut-être 10 % des clients du confinement. […] Ce n’est pas une vie. Il faudra encore longtemps pour changer les mentalités ; tout ça ne se fera pas en une épidémie, ni en une génération. Les clients, ils veulent tout, tout de suite : des tomates au mois de mars, des fraises en hiver… Ils se fichent des saisons ! » déplore-t-il.

A show poster for Kellar

Horaires réduits
aux Jardins de la Montagne Verte

Aux Jardins de la Montagne Verte , les horaires d’ouverture du magasin ont été revus à la baisse mi-août, faute de fréquentation.

« En raison d’une faible affluence et du manque de personnel, nous sommes dans l’obligation de modifier les horaires et de chômer la journée du lundi, et ce jusqu’à mi-septembre. […] Aussi, nous travaillerons avec une gamme réduite pour limiter les pertes, et ne proposerons donc en produits frais que nos succulents légumes et les délicieux fruits de la ferme Herrmann », est-il précisé sur leur page Facebook. Alors, quoi, simple creux du cœur de l’été ou durable désaffection ?

L’îlot mise sur le vélo…

 Claire Andna a pour projet de mettre en place des livraisons à triporteur, notamment pour pérenniser le poste de Samuel Daigle, qui a rejoint l’équipe durant le confinement.   Photo DNA /Maksym Toussaint

Du côté de L’îlot de la Meinau aussi, le soufflé est quelque peu retombé, même si en ce samedi matin estival, la boutique/épicerie refaite à neuf l’an dernier reste bien achalandée. « C’est sûr qu’il y a eu une grosse chute de fréquentation ! Pendant le confinement, on a eu jusqu’à 400 clients par jour, qui faisaient parfois 45 minutes de queue et ne s’en plaignaient pas. Au contraire, c’était une occasion de voir du monde et de discuter, leur parenthèse de lien social de la journée », analyse Claire Andna-Montariol, qui gère la ferme urbaine meinauvienne avec son mari Geoffrey.

La jeune femme veut pourtant rester optimiste, pour elle et pour les 15 personnes qui travaillent ici (exploitation agricole et commerce confondus). « On a gardé certains nouveaux clients, qui parfois nous ont découverts, et par rapport à l’an dernier, on est quand même 20 à 30 % au-dessus, au niveau fréquentation ; ça compense un peu le manque à gagner du côté de la restauration… »

 Les consommateurs continueront-ils à faire leurs courses dans les magasins de vente directe ? C’est pour les producteurs tout l’enjeu de cette période post-confinement…   Photo DNA /Maksym Toussaint

Plutôt que de voir le verre à moitié vide, elle préfère se concentrer sur le positif. « Pendant le confinement, on a eu un afflux de commandes — jusqu’à 90 à 100 par jour —, un gros pic au niveau du drive et beaucoup de demandes de livraisons à domicile. » Résultat, cet automne, l’îlot compte se doter d’un V’Ilot électrique pour assurer les livraisons sans pour autant augmenter son empreinte carbone. Le financement participatif lancé sur Blue Bees, qui courait jusqu’à la fin août, a permis de rassembler la coquette somme de 8 394 € au bénéfice du projet. L’achat de ce vélo doit aussi permettre « de pérenniser à temps plein l’emploi de Samuel, qui [nous] a rejoints quand on avait besoin de renfort. » Les circuits courts, ce sont aussi des emplois, non délocalisables et avec toute une chaîne derrière.

Quentin Seyeux a dû investir pour grandir, durant le confinement, et espère maintenant que la clientèle sera de retour à la rentrée.   Photo archives DNA /Laurent RÉA
Quentin Seyeux et son site Marmelade.alsace, épicerie en ligne. Photo DNA - Laurent REA
Quentin Seyeux a dû investir pour grandir, durant le confinement, et espère maintenant que la clientèle sera de retour à la rentrée.   Photo archives DNA /Laurent RÉA
Quentin Seyeux et son site Marmelade.alsace, épicerie en ligne. Photo DNA - Laurent REA

Pour Marmelade en septembre,
« ça passe ou ça casse ! »

Chez Marmelade Alsace, qui livre et abonne en direct d’une soixantaine de producteurs et créateurs locaux depuis un peu plus de deux ans , Quentin Seyeux compte lui aussi sur une reprise prochaine. Pris d’assaut dès le début du confinement, il a d’abord un peu peiné à suivre, comme ses producteurs. « Eux-mêmes étaient assaillis de demandes en direct, c’était de la folie ! Du jour au lendemain, tout le monde voulait manger des légumes : on en a livré plus d’une tonne par jour ! Forcément, c’était compliqué de s’organiser », reconnaît-il. « Le premier mardi à midi, on avait rempli notre carnet de commandes pour trois semaines ! On ne savait plus quoi répondre aux gens. Il a fallu louer une camionnette en catastrophe, embaucher ; on a même noué une collaboration avec Sikle , qui d’ordinaire collecte et valorise les déchets, pour pouvoir utiliser leurs vélos. »

Aujourd’hui, tout ça s’est calmé. « Sur les cinq collaborateurs embauchés, on n’a pu en garder que trois », regrette le jeune entrepreneur. C’est que sitôt les marchés rouverts, la demande a chuté, « au moins de moitié ». Et depuis la mi-juillet, c’est morne plaine… Sauf qu’entre-temps, il a fallu investir. Exit les trois boxes de 12 m² loués route du Petit-Rhin ; place à un vrai entrepôt de 250 m², rue de La Rochelle. Une nouvelle camionnette devrait bientôt arriver et un second vélo a été commandé. « Un bi-porteur doté d’une remorque, capable de transporter 300 kilos, qui nous permettra d’embarquer six commandes à l’avant et une dizaine à l’arrière. »

Une nouvelle chambre froide est aussi annoncée. « Cela nous permettra de proposer de la viande et des salaisons pour compléter notre offre », explique Quentin Seyeux, ravi aussi d’avoir ajouté La Closerie Bellot et ses fromages – le comté, surtout ! – à son tableau de chasse. Face à la demande croissante, il compte en outre développer un réseau de points relais dans toute l’Eurométropole, voire au-delà, et a besoin pour cela de mettre à niveau son site internet – et donc de trouver les compétences extérieures dédiées .

Un marché des producteurs le samedi 26 septembre

Tout cela bien sûr, en priant pour que l’activité reparte… « À la rentrée, ça passe ou ça casse ! », sait celui qui se versera fin septembre – hourra !- son tout premier salaire depuis le début de l’aventure. Alors, pour réamorcer la machine, fêter la rentrée et rappeler aux consommateurs que les producteurs locaux n’ont pas disparu avec le déconfinement, Quentin Seyeux a eu l’idée d’organiser un « Marché des producteurs Marmelade », le samedi 26 septembre, place Saint-Thomas.

« Pendant trois mois, on a tous galéré ensemble, mais on s’est serré les coudes ; ça va faire beaucoup de bien de se retrouver ! » A condition évidemment que de leur côté, les consommateurs n’aient pas oublié leurs bonnes résolutions…

Courts un jour, cour (t) s toujours ?

Un marché des producteurs Marmelade le 26 septembre

Ce samedi 26 septembre, place Saint-Thomas à Strasbourg, le service de livraison de produits locaux Marmelade.alsace organise un marché des producteurs afin de mettre en avant ses partenaires, producteurs et artisans régionaux. Une occasion de rencontrer ceux qui se cachent derrière les courses locavores !

Dès 10 h et jusqu’à 21 h, près d’une trentaine de producteurs alsaciens se réuniront dans une ambiance festive pour proposer à la dégustation et à la vente leurs spécialités. La petite équipe de Marmelade a invité maraîchers, apiculteurs, confituriers, brasseurs, savonniers et torréfacteurs. On pourra ainsi compter sur la présence des Confitures du Climont , meilleur confiturier de France et « Entreprise du patrimoine vivant » ; de Jean-Michel Obrecht , maraîcher explorateur spécialisé dans les primeurs rares ; ou encore de Jessica Kruth, pâtissière de l’enseigne Bulles Gourmandes à Schiltigheim !

Le food-truck de La Cantine Nomade sera également sur place pour proposer ses sandwichs à base de produits locaux, ainsi que plusieurs brasseurs, tels que la brasserie bio La Narcose , ou encore la brasserie 3 Mâts , pour des dégustations de bières à la pression.L’entrée est gratuite et les bénéfices éventuels de l’événement seront reversés à l’association Les Jardins de la Montagne Verte , ferme urbaine bio à Strasbourg. « Toutes les mesures d’hygiène nécessaires seront prises pour que l’événement se déroule dans les meilleures conditions », précisent par ailleurs les organisateurs.

Jean-Michel Obrecht devrait faire partie des producteurs présents au Marché des producteurs organisé par Marmelade place Saint-Thomas, le samedi 26 septembre. DOCUMENT REMIS